«La RSE, responsabilité sociale des entreprises et l’économie circulaire – sont-elles des réponses adéquates aux défis climatiques et écologiques ?” – tel était le thème du débat le 22/11/2013 au Nouveau Monde Vert à Varsovie, une des manifestations citoyennes en marge de la Conférence des Parties sur le climat COP 19.
Est-ce que l’humanité pourrait sans les entreprises faire face à la menace extrême que font peser sur la planète et sur ses écosystèmes les changements climatiques, l’épuisement des ressources et la perte de la biodiversité ? Après tout, dans le monde globalisé d’aujourd’hui, les grandes entreprises multinationales sont plus riches que les Etats. Certes, une responsabilité sociale des entreprises se développe, dit RSE, mais est-ce que les mesures prises par les grands groupes sous la bannière de la RSE prouvent réellement leur sens de responsabilité et leur préoccupation pour le bien commun, et surtout sont-elles à la hauteur des défis de notre temps ? Ne devons-nous pas changer de paradigme économique? La nouvelle économie plus respectueuse de l’environnement, l’économie „verte ” ne devrait-elle pas être également obligatoirement „circulaire”? Cette économie verte circulaire, peut-elle être introduite dans les politiques nationales de manière démocratique?
Sur de telles questions ont tenté de répondre: Grzegorz Piskalski, expert en relations internationales et président de la fondation CentrumCSR.pl, Ewa Sufin-Jacquemart, sociologue, présidente de la Fondation Zone du Vert et activiste des Verts polonais et Jean Rossiaud, sociologue, membre de la Coordination des Global Greens, un des leaders des Verts suisses et l’activiste du Forum pour une nouvelle gouvernance mondiale. Des jeunes diplômés et étudiants constituaient le public, représentant des domaines très variés, entre la climatologie, l’environnement, les relations internationales, l’économie, la sociologie, la langue et litérature française ou le droit.
Grzegorz Piskalski a éclairé les définitions, soulignant que la responsabilité sociale des entreprises, dite RSE, en dépit du terme, ne se réfère pas uniquement aux aspects sociaux dans l’entreprise, mais correspond à la notion du «développement durable» prônant l’équilibre entre trois composantes – l’économique, le social et l’environnemental. Il a également noté que la stratégie de la RSE dans l’entreprise ne doit pas être dirigée vers les actions secondaires et partielles n’affectant pas l’activité principale de la société, comme c’est malheureusement souvent le cas. Les entreprises aux métiers nocifs pour le climat, pour l’environnement, pour les employés et les communautés locales obtiennent souvent des prix pour leur «responsabilité sociale» sur la base d’un seul critère, grâce à une initiative partielle ou à un rapport bien rédigé. Le «green washing» est plus une règle qu’une exception. Malheureusement, l’idée que le profit financier à court terme est la seule justification de l’activité économique, continue de dominer le monde global, dominé par l’idéologie néolibérale. Compte tenu de la hausse des coûts, certains secteurs de l’économie sont structurellement socialement irresponsables et non éthiques, et leurs nuisances sont énormes, à la fois pour l’environnement, pour les travailleurs et pour les communautés locales.
Fondation CentrumCSR.pl présente à l’occasion du sommet climatique COP 19 une exposition photographique (Państwomiasto, du 20 au 28 Novembre 2013 et sur www.centrumcsr.pl). Grzegorz Piskalski a commenté des exemples drastiques de pratiques assez courantes des sociétés minières qui fournissent les combustibles fossiles à l’industrie traditionnelle de l’énergie et au transport. Il a souligné également la responsabilité des banques internationales et d’autres institutions financières, qui co-financent ces investissements, soutennant par ce fait ce type de pratiques contraires à l’éthique et nuisibles à l’environnement et au climat, mais aussi aux communautés locales et des générations futures.
La dernière image montrée vient de Pologne, de Zurawlow, où les agriculteurs locaux mènent un combat inégal de David et Goliath contre une impitoyable et arrogante multinationale Chevron, l’une des plus grandes sociétés minières du monde. Ewa Sufin-Jacquemart, engagée dans une coalition civique informelle Złupieni.pl, a raconté ses expériences de Zurawlow et avec d’autres entreprises qui recherchent le gaz de schiste en Pologne. L’exemple le plus extrême est sans aucun doute Chevron, se comportant en Pologne avec une arrogance absolue, exerçant une pression sur le gouvernement national et les collectivités territoriales, rachetant des gens, et ne se donnant même pas de mal pour respecter de simples procédures administratives, comme de faire séparer en bonne et due forme la parcelle par un géomètre, notifier les travaux sur la route, obtenir un permis de construire pour le forage d’un puit d’eau ou pour abattre des arbres. En outre, au même moment où Chevron dépense des millions pour une énorme, presque caricaturale, campagne nationale d’image et de propagande dans les médias, proclamant sa responsabilité environnementale et le respect des communautés locales, la compagnie va au tribunal contre treize agriculteurs de Żurawlow, parce qu’il ont eu l’audace de s’opposer à la pose illégale de clôture sur la parcelle que Chevron a loué pour trente ans à quelques habitants inconscients des conséquences et des risques, pour y mener des recherches sismiques puis des forages.
Un autre exemple inquiétant concerne le business polonais. En 2012, la société polonaise publique PGNiG a entrepris un «dialogue avec des parties prenantes» autour de la recherche et l’extraction du gaz de schiste, avec l’aide du cabinet de conseil PWC, selon la norme internationale AA1000. Malheureusement, après une réunion avec les ONG le 19 janvier 2013, à laquelle, entre autres, Ewa Sufin-Jacquemart avait rapporté une liste d’observations et de recommandations au nom de la Fondation Zone du Vert et de l’Association Ecologique EKO-UNIA, tandis que dr Andrzej Kassenberg a fait d’autres remarques importantes au nom de l’Institut pour l’éco-développement, la réponse de l’entreprise, qui devait être soumise aux participants du «dialogue» le 26 février 2013, n’est jamais arrivée et le dialogue a été rompu unilatéralement.
Ce qui ne signifie pas que la société civile n’a pas de possibilité de mettre pression sur les entreprises, pour les obliger à changer leur comportement. Quelqu’un a fait remarquer que les prix des produits certifiés commerce équitable sont en Pologne trop élevés, le sujet du boycott des entreprises par les consommateurs a été abordé. Grzegorz Piskalski a mis en doute l’efficacité du boycott par les consommateurs, il croit plus aux actions des ONG. Actuellement sa fondation mène une campagne de pression pour faire évoluer la législation sur les marchés publics, en introduisant les normes environnementales en plus du critère prix.
Cependant, compte tenu de l’ampleur des défis climatiques, écologiques et sociaux, de l’épuisement de plus en plus rapide des ressources non renouvelables et de la biodiversité, c’est-à-dire de tout ce que raconte de façon si convaincante Marcin Popkiewicz dans son best-seller „Le monde à la croisée des chemins», une simple amélioration des normes environnementales et sociales des entreprises ne suffira pas. Nous devons conduire à un changement de paradigme par le développement de „l’économie verte”, basée sur les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique, le respect de l’environnement et des personnes. Seulement, pour améliorer sensiblement la situation, cette économie ne peut pas être seulement „verte”, elle doit être aussi „circulaire”. Le modèle linéaire: „je prélève des matières premières et des ressources énergétiques -> je produis avec des émissions nocives et des déchets -> je consomme -> puis je jete le tout sous la forme de déchets” doit être « fermé en boucle”.
Ewa Sufin-Jacquemart a rappelé les initiatives et les politiques pour l’économie circulaire en France, dont a parlé à une récente conférence à Varsovie la vice-présidente de l’Institut de l’Economie Circulaire, Anne de Béthencourt, mais les initiatives en faveur du changement de paradigme de développement économique sont prises également en Suisse.
Un tel système circulaire, basé sur la philosophie de 5R, souhaitent introduire en Suisse les Verts, a raconté Jean Rossiaud. Les cinq R signifient: RÉDUIRE, RÉPARER, RÉUTILISER, RECYCLER et RÉINVENTER. La raison de leur campagne vient du fait qu’aujourd’hui l’économie de la Suisse laisse une énorme „empreinte écologique”. Si tout le monde vivait de cette manière, trois planètes seraient nécessaires pour répondre aux besoins de l’humanité. Les Verts veulent ramener cette empreinte au niveau d’une seule planète à 2050. Ils ont donc entrepris l’année dernière une initiative citoyenne sous le slogan „Pour une économie durable, basée sur la gestion efficace des ressources (économie verte)”. Grâce à la campagne active dans les media sociaux et dans la rue, ils ont obtenu les 100 000 signatures nécessaires. L’initiative implique un changement constitutionnel, qui obligerait l’autorité fédérale à suivre de près les progrès accomplis par les entreprises dans l’introduction, de manière volontaire, des principes de l’économie verte circulaire, pour une diminution substantielle de l’empreinte écologique de la Suisse. Le système d’incitations, mais en cas de progrès insuffisants également de taxes, modifierait progressivement les standards des entreprises.
L’initiative, parce qu’elle a rencontré un large soutien des citoyens, a conduit à des modifications de la loi sur la protection de l’environnement et à un plan d’action fédéral concurrentiel pour l’économie verte. Ce plan couvre quatre domaines d’action: 1 ) consommation et production , 2 ) déchets et matières premières, 3 ) instruments transversaux (financiers et internationaux), 4 ) objectifs, suivi, information et rapports. L’initiative citoyenne, même sans effet direct, a tout de même provoqué une réaction des autorités féderales, et la Suisse a fait un pas en avant sur la voie de l’économie verte circulaire.